Cela devait bien finir par arriver et, au fond, quiconque avait quelque peu réfléchi à l’avenir du football européen durant les deux dernières décennies en était presque inéluctablement arrivé à la conclusion qu’une ligue semi-fermée regroupant les plus grands clubs du continent finirait par voir le jour. Comme, de manière plus large, dans les sociétés européennes, l’élite fait sécession avec ce qu’elle considère comme la masse et qu’elle entend dominer et, à cette fin, vise à former non pas une oligarchie, mais une aristocratie lui arrogeant le pouvoir qu’elle ne souhaite plus partager. Le football, éternel laboratoire des transformations à venir dans la société européenne, acte la fin de la démocratie.
Il est fini le temps du mérite, notion par ailleurs déjà largement dévaluée et démontée par la puissance du déterminisme, le temps du Petit Poucet si cher à la mythologie des compétitions nationales, le temps où David, sans même penser à le vaincre, pouvait encore espérer affronter Goliath. Comme les piliers du capitalisme largement renfloués en 2008, les mastodontes du football se considèrent aujourd’hui too big to fail et, largement endettés auprès des premiers cités et, comme toutes les multinationales, plus préoccupés par leurs cours en Bourse que par l’équilibre de leur environnement économique, leur priorité est désormais de sécuriser le capital-risque investi par de nouveaux actionnaires venus d’Amérique du Nord où règnent justement les ligues fermées.
Les réformes successives de la Ligue des Champions avaient déjà sérieusement mis à mal le principe d’égalité des chances et tout autant celui de la redistribution des richesses. La Superligue est en fait la dernière pierre à l’édification d’une superdigue entre, d’un côté, une aristocratie se revendiquant comme tel de plein droit qui va accaparer l’essentiel des ressources et, de l’autre, une masse déjà largement en souffrance de par la crise sanitaire dont la seule issue possible pour la survie sera la servitude. Car, n’en doutons point, cette compétition remportera le plus grand succès tant ce football est désormais mondialisé, et les fans de par le monde se fichent pas mal des attentes terriblement locales de ceux qui furent jadis des supporters.
Prenons l’exemple de Malherbe, dont la situation actuelle était suffisamment catastrophique, tant sur le plan sportif qu’économique. La glorieuse incertitude du sport était jusqu’ici contrebalancée par la glorieuse inflation des droits télés ayant en partie très certainement guidé l’investissement d’Oaktree dans le capital du club. Que va-t-il advenir du projet économique de l’actionnaire maintenant que l’essentiel des droits télés vont être captés par une élite hors de portée? Combien de clubs comme le nôtre pourront demeurer professionnels dans ces conditions, à moins d’être vassalisés comme centres de formation? Enfin, qu’en est-il des rêves de tous ceux ne dînant pas à la table des princes?